Ma mésaventure à Singapour, 1979
DANS LE MÊME BATEAU
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Texte de Nam Nguyen ©2016
Photos de Vincent Leduc ©1979
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En avril 1979, à l’âge de 12 ans seulement, je survécu à un terrible voyage en bateau à travers le Golfe de Thaïlande. Notre embarcation avait été attaqué sans relâche par des pirates criminels et avait enduré une violente tempête dans la nuit. Alors pourquoi, à peine un mois plus tard, pris-je cette décision que les autres considéraient comme « folle » : quitter la sécurité relative de mon camp de réfugiés en Indonésie (et quitter mes trois cousins) pour partir seul dans un second voyage en mer pour Singapour?
L’homme qui m’avait convaincu de m’enfuir à nouveau était un « Cowboy Américain Fou », Gary Ferguson, vétéran du Vietnam originaire de Phoenix en Arizona. Gary était venu à Buton pour aider les réfugiés vietnamiens. Au camp, tout le monde aimait Gary, particulièrement les jeunes enfants et ceux de mon âge.
Je me souviens précisément de la première fois où j’ai vu Gary. C’était le premier américain que je voyais de ma vie. Il était vêtu comme un cowboy, avec un grand chapeau et des bottes de cuir. La propagande communiste décrivait les soldats américains, anciens ennemis du Parti, comme des monstres géants couverts de poils qui dévoraient les bébés vietnamiens ; cependant, je vis en Gary un homme grand, gentil, avec un sourire chaleureux. Il était toujours entouré par les enfants et il allait constamment vers les gens pour les saluer.
Le premier jour de sa visite à Buton, Gary sorti un appareil à cassette. Un trésor pour les réfugiés car il n’y avait pas d’électricité dans le camps et quasiment personne ne possédait d’appareil électronique. Gary fit pour la foule une démonstration sur la manière dont l’appareil pouvait enregistrer les voix, jouer de la musique et, le plus important, pratiquer l’anglais. Depuis le moment où notre bateau avait atterri sur l’île de Buton, les adultes me recommandaient d’étudier l’anglais chaque jour. Ils disaient que cela m’aiderait à préparer ma migration et mon immersion dans une culture occidentale d’adoption, mais j’y prêtais peu attention, jusqu’à ce que je vis Gary.
Suite à sa venue, j’élaborai le plan de l’approcher et de lui parler en anglais lors de sa prochaine visite. À l’aide d’un dictionnaire vietnamien-anglais, je pu composer trois formules de salutation. J’écrivis une douzaine de fois les phrases en anglais dans un carnet de notes afin de m’aider à les mémoriser. Je passai le reste de la nuit à pratiquer la prononciation.
Lorsque je me levai le matin suivant, j’étais très fatigué du manque de sommeil. La pensée de rencontrer Gary me rendait très nerveux. Les muscles de mon cou se nouaient et mes lèvres tremblaient de manière incontrôlée, me rendant incapable de prononcer les mots correctement. J’essayai sans cesse de répéter les phrases anglaises dans ma tête, je me disais à moi-même qu’il fallait être courageux, sachant que je n’aurai qu’une chance d’impressionner Gary ce jour-là.
Quand Gary arriva au matin, le camp résonnait de bruits et de feux d’artifices. Une foule de gens s’était formée à l’entrée du pont de singe qui servait de jetée face à nos huttes sur pilotis. Tous étaient impatients de revoir Gary. Des cris de joie fusèrent au moment où ils le virent s’approcher au loin. Il descendit de la barque à moteur qui avait accosté à l’autre bout du pont de singe. Je ne pus empêcher un fou rire en le voyant marcher lentement avec les deux mains cramponnées sur les rampes. Il regardait l’eau à travers le pont comme s’il avait peur de tomber. Excitée, la foule devint comme folle, criant des encouragements et des salutations au fur et à mesure qu’il s’approchait. Tous regardaient intensément ses moindres mouvements.
Quand Gary franchit la partie du pont proche de ma hutte, il fit une pause et regarda la foule avec un grand sourire. Il leva la main. Soudain ses pieds glissèrent et il disparut aussitôt dans l’eau. L’impact avait produit un grand bruit et des gerbes. Durant un moment on ne le vit plus. Puis l’eau se mit à éclabousser de tous côtés tandis que Gary essayait de reprendre pieds. Il se débattait, se retournait en cercle en n’arrêtant pas de hurler.
Médusée au moment où Gary était tombé, la foule était en état de choc. Je ne pouvais pas croire ce que je voyais. Gary ne ressemblait plus du tout à un cowboy stoïque et courageux. Son chapeau flottait sur l’eau à quelques mètres de là. Du sable noir couvrait ses cheveux bouclés et dégoulinait sur son visage. Il avait l’air d’un dingue. Il frappait l’eau de ses deux bras, plongeait pour libérer ses bottes prises dans la vase. Enfin il éleva les bottes au dessus de sa tête pour les vider.
Plusieurs hommes vinrent l’aider à récupérer son chapeau qui dérivait un peu plus loin dans les vagues. Gary repris pieds, en colère. Il se dirigea vers la foule. Trempé, couvert de sable noir, maugréant il se mit à crier dans notre direction. Un homme traduisit à la foule en vietnamien : « Il dit que nous sommes stupides d’avoir construit un pont aussi impraticable et dangereux ». Il disait : « Mais comment peut-on marcher sur un pont de singe aussi nul ? »
J’entendis quelques rires dans la foule. Des anciens commençaient à traiter Gary « d’américain stupide », de « cowboy fou ».
J’aurai aimé que Gary sache dans quoi il se mettait en perdant son sang froid. Quand il eut enlevé la boue et le sable de son chapeau et de ses bottes, il leva le regard, tendit ses deux bras et désigna de son index pointé deux hommes qui se balançaient au sommet des cocotiers. À la base des arbres, une douzaine de noix de coco s’étalaient sur le sol. Gary se dirigea vers l’un des cocotiers et fit des cercles autour du tronc pour examiner les fruits.
Regardant en l’air, il se mit à hurler à l’adresse des deux hommes. Je ne pouvais comprendre ce qu’il disait sinon qu’il était furieux.
Gary ne le savait probablement pas à ce moment mais les deux hommes étaient au sommet des arbres pour couper des noix de coco fraiches pour les lui servir, lui notre invité spécial. Un homme traduisit les propos de Gary en vietnamien :
« Je suis très déçu de ce qui se passe aujourd’hui. Je fais de mon mieux pour établir de bonnes relations avec les propriétaires de l’île. Vous n’êtes pas invités ici. Vous occupez leurs terres. Vous avez déjà coupé leurs arbres à caoutchouc. Et maintenant vous faites ça ? Prendre leurs noix de coco, pas une , deux ou trois, mais… sans permission. Et vous croyez qu’ils vont vous apprécier ? Vous aider ?
La foule était désormais silencieuse. Chacun évitait le contact des yeux de Gary alors qu’il parlait et pointait ses doigts sur tout le monde. Quelques anciens s’en allèrent, d’autres hochèrent la tête en signe de désapprobation. Je me sentais désolé pour Gary. Il se tenait là, tout seul en gesticulant. Quelle différence avec celui que nous avions vu lors de sa première visite ! J’aurais aimé le consoler et lui montrer mes talents en anglais, mais je n’en avais plus le gout.
Quelques jours avant le retour de Gary à Buton, tout le monde parlait d’un petit bateau de pêche qui venait d’arriver et était ancré à quelques centaines de mètres de notre camp. Les femmes et les enfants n’étaient pas autorisés à débarquer. Les autorités indonésiennes locales considéraient que l’île ne pouvait plus subvenir aux réfugiés déjà très nombreux.
On partageait des boites de conserves, du riz, des poissons et de l’eau potable avec les gens de ce bateau, et je fus ravi d’apprendre que Gary avait aussi entrepris de les aider. En dépit de nombreuses réunions avec les autorités locales, il ne put les faire changer d’avis. Les autorités leur donnèrent un ultimatum de deux jours pour repartir. C’est alors que Gary conçu le plan de les conduire à Singapour où se trouvait l’ambassade américaine la plus proche.
Cette après-midi là, Gary invita les réfugiés de l’île à rejoindre l'expédition sur Singapour. Il promit même à ceux qui partiraient avec lui de leur obtenir le droit d’asile aux États-Unis. Il donna rendez-vous au bateau à minuit. Ce départ soudain ne nous laissa que quelques heures pour prendre notre décision.
Même si Gary avait fait de son mieux pour expliquer aux réfugiés son plan de voyage et comment son statut d’Américain pouvait lui permettre de persuader les autorités de Singapour d’accepter les réfugiés, la majorité des anciens du camp ne le prirent pas au sérieux. On pouvait se demander si les récents excès de colère de Gary avaient détruit sa réputation et sa crédibilité auprès des réfugiés. Certains pensaient qu’il était dérangé. Mais je ne partageais pas du tout ce point de vue. En fait, j’avais vu en Gary une personne passionnée par le désir d’aider ceux qui étaient dans le besoin, quelqu’un capable d’accomplir l’impossible.
À mon grand désarroi, personne de la famille avec laquelle je partageais ma hutte ne crut au plan de Gary. En plus de leur crainte de repartir en bateau pour un voyage au succès incertain, ils se rassuraient stupidement en disant : « Ne soyez pas bête, ne partez pas avec ce Cowboy Américain Fou ! » Mais leurs mises en garde n’eurent pas d’effet sur moi, j’avais déjà pris ma décision. Ce soir-là je me couchai tôt.
Juste après minuit, je me glissai hors de la hutte tandis que tout le monde dormait. Sous le couvert de l’obscurité, je me dirigeai lentement sans faire de bruit sur la plage boueuse et froide afin d’embarquer sur le bateau et entreprendre un nouveau voyage avec Gary, mon nouveau héros.
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Une fois à bord, je fus déçu de constater qu’aucun des autres enfants du camp que je connaissais n’était venu. En dehors de Gary, je ne connaissais personne sur le bateau. Je me sentis soudain très seul et désemparé. Je ne pus dormir.
Observant la silhouette de Gary se dessiner dans le rayon de lune sur l’horizon sombre, je frissonnais dans la brise nocturne qui m’enveloppait. Je passai le reste de la nuit à le regarder parler avec les hommes du bateau, espérant calmer ainsi mes inquiétudes.
#Gary
Le jour suivant, je vis apparaître le port de Singapour à l’horizon avec une immense joie. Un avion surgit dans le ciel. Il tourna autour de notre bateau plusieurs fois avant de s’éloigner. Quelques minutes plus tard, un navire fit son apparition. Quelle puissante machine militaire ! Je fus gagné d’anxiété en même temps que je pensais que nous serions bientôt secourus. Sur notre bateau, tous se mirent à faire des signes de la main dans sa direction.
L’ambiance se transforma au fur et à mesure que le navire d’acier approchait. Sur le pont, des soldats pointaient leurs fusils automatiques directement sur nous. Le navire se mit à tourner autour de notre bateau. J’eu peur qu’ils ne nous tirent dessus. Tout le monde paniquait.
Les soldats finirent par baisser les canons de leurs fusils. Je crois que c’était quand ils avaient repéré Gary qui criait en anglais, cette langue que je ne comprenais toujours pas.
Après un quart d’heure d’échanges, je vis les soldats singapouriens aider Gary à monter à leur bord. Quel soulagement ! Tout le monde se calma sur notre bateau. Nous commençâmes à attendre en espérant un miracle. Une fois encore, je me sentis soulagé et reconnaissant que Gary soit là pour nous aider.
L’attente fut longue. Il du se passer plusieurs heures avant que finalement Gary n’émerge de l’intérieur du navire. Il était calme. Les soldats l’aidèrent à regagner notre bord.
Gary expliqua que nous n’étions pas les bienvenus à Singapour. La nouvelle nous bouleversa. Il raconta qu’il avait tout essayé pour négocier avec le gouvernement singapourien et l’ambassade américaine, sans succès. Notre bateau n’était pas autorisé à entrer dans les eaux singapouriennes, nous étions sommés de faire demi-tour.
Les soldats s’empressèrent de nous lancer une remorque, ordonnant à nos hommes au moyen d’un mégaphone de la fixer à notre proue. De l’eau crachait de l’arrière du navire quand il commença le remorquage de notre petite embarcation de bois loin de la côte singapourienne. Ce fut une expérience terrifiante. Les vagues produites par le navire de guerre faisaient danser et trembler violemment notre bateau surpeuplé. Je m’inquiétais qu’il ne se disloque et qu’il ne coule. Après environ une heure de remorquage en mer, le navire militaire stoppa les machines et les soldats nous ordonnèrent de dénouer et renvoyer la remorque, puis il disparut.
Pour la seconde fois de ma courte vie, je me retrouvai coincé dans un bateau avec des étrangers. Les hommes, les femmes et les enfants semblaient figés. Personne ne parlait. Nous ne savions que faire ni où aller. Beaucoup pleuraient. Je me sentais dévasté. Je n’arrivais pas à croire que Gary ait échoué. J’espérais une nouvelle option, tout sauf retourner au Camp de Buton.
Le voyage de retour à Buton fut un cauchemar. Dans le froid et l’obscurité de la nuit, je ne m’étais jamais senti aussi seul ni invisible. Perdu, profondément blessé. Personne à qui parler, personne sur qui compter.
Fasciné par la brillante eau noire qui défilait le long de notre coque, j’envisageai de me jeter dans l’océan. J’essayai d’imaginer ce que serait le moment où mon visage, mes mains et mon corps tout entier entreraient dans l’eau, aurais-je froid ? Je me voyais m’enfoncer dans la profondeur de l’océan noir. Puis je pensai à la possibilité de changer d’avis et de revenir à la nage pour remonter sur le bateau. Je me demandai combien de temps il faudrait pour le rattraper. J’essayais de ne pas penser aux gros poissons que je pouvais rencontrer. Je m’imaginais fermer les lèvres très fort, retenir ma respiration le plus longtemps possible puis ouvrir la bouche et gouter l’eau salée de la mer. Je me disais : et si je regrettais d’avoir sauté ?
Soudain, je me mis à frissonner. Je devenais faible, fatigué. Peu à peu j’abandonnai l’idée. J’essayai alors de ne plus penser en observant l’eau avancer le long de notre coque dans la nuit, jusqu’à ce que je m’endormis.
Depuis 36 ans j’ai été pris par ma nouvelle vie aux États Unis, ma patrie d’adoption. De temps en temps je me souviens de cet inoubliable voyage en bateau et je me demande quelle a été la chaine d’événements qui m’a conduit à ces pénibles circonstances. Après tout, j’avais fui mes cousins sans aucune hésitation à Buton. Lors de cette évasion pour la liberté, je m’étais enfui de chez les gens qui étaient supposés me protéger et prendre soin de moi en l’absence de mes parents.
De nombreuse fois je me suis demandé : pourquoi me suis-je enfui ?
L’histoire est longue et compliquée mais la réponse que j’ai trouvé est simple : j’étais un enfant différent. Différent des autres réfugiés, je ne me sentais pas à l’aise dans l’environnement qui était le mien. J’étais un nord-vietnamien qui essayait de cacher sa véritable identité parmi des réfugiés sud-vietnamiens. Inconsciemment, je devais me sentir déstabilisé et je cherchais une solution.
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Au début des années 50, mon père avait quitté sa maison, sa première femme, et son fils, au Viêt Nam du Sud pour participer à la guérilla Viêt Minh contre les français, pour l’indépendance du Viêt Nam. Après la défaite française à Dien Bien Phu en 1954, le Viêt Nam fut divisé en deux pays : la République Démocratique du Viêt Nam (soutenue par l’Union Soviétique) dans le Nord, et la République du Viêt Nam (soutenue par les États-Unis) dans le Sud. Ce fut le début d’une longue guerre contre les États-Unis. Retenu au Nord, mon père ne pouvait plus rejoindre sa famille dans le Sud. Après 10 ans de séparation forcée avec sa femme et son fils, il rencontra une femme nord-vietnamienne de Hanoï (ma mère). Ils tombèrent amoureux et fondèrent une famille, qui donna naissance à mes trois frères, ma sœur et moi.
Issu de l’amour, de la guerre, de l’idéologie et de la géographie, je naquis et grandis dans la guerre avec les américains dans une ville située juste à l’extérieur de Hanoï, la capitale du Nord Viêt Nam communiste. Vers la fin de 1975, après la chute de Saïgon qui marqua la fin de la guerre, et après être resté au Nord plus d’un quart de siècle, mon père pu finalement se rendre au Sud afin de chercher sa famille perdue depuis si longtemps. Je l’accompagnai lors de ce voyage mémorable à Saïgon. Environ un an plus tard, ma mère pu nous rejoindre avec mes frères et mes sœurs.
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Après la défaite du Sud Viêt Nam en 1975, de nombreux sud-vietnamiens ressentaient une profonde haine envers ceux du Nord qui menèrent une politique de répression et de confiscation. Beaucoup de familles aisées du Sud furent expulsées de chez elles et envoyées dans des zones économiques de relocalisation dans des régions éloignées et insalubres. Les sudistes furent forcés d’abandonner leur mode de vie et de travailler comme paysans et ouvriers. Les anciens soldats et officiers sud-vietnamiens (dont la première femme de mon père et son unique fils, mon demi-frère) furent emprisonnés ou envoyés en camps de rééducation où ils étaient torturés et devaient mener des travaux harassants. Beaucoup refusèrent de quitter leur maison et se suicidèrent. Les familles et les amis des fonctionnaires et des officiers militaires du gouvernement du Sud furent mis sur une liste noire par les communistes du Nord. De nombreuses familles terrifiées s’enfuirent par bateau, risquant leur vie : l’arrestation en s’échappant du pays, les tempêtes et les attaques des pirates. Ceux qui avaient la chance d’atteindre une côte étaient parqués dans des camps de réfugiés, aux Philippines, en Thaïlande, en Malaisie, à Singapour et en Indonésie.
Mes cousins étaient nés et avaient grandi au Sud Viêt Nam dans une famille aisée. Leur père, le jeune frère de mon père, était un docteur connu et respecté de Saïgon. Craignant pour sa famille, mon oncle fit partir ses enfants avec l’espoir qu’ils trouveraient une vie plus sure et meilleure ailleurs. Mon oncle fit aussi une grande faveur à son grand frère, mon père. Il paya le prix exorbitant (qui pouvait aller de cinq à douze barres d’or) de mon évasion avec ses trois enfants.
Laissant ma famille au Viêt Nam, je dus modifier mon identité pour pouvoir me mêler à mes cousins et aux autres sud-vietnamiens. Techniquement, j’étais un nord-vietnamien. Afin de me protéger de leur hostilité, je ne parlais librement avec personne car on aurait reconnu mon lourd accent du Nord. Je ne voulais pas être traité comme un ennemi. L’un de mes cousins, le plus grand, plus fort et plus âgé que moi de plusieurs années, me regardait toujours bizarrement et me traitait souvent de « Viet-Cong ». Cependant, je me sentais relativement en sureté parmi les autres réfugiés et dans la famille avec laquelle je partageais la hutte à Buton.
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Voici un récit personnel d’un des chapitres de ma vie que j’ai appelé « Mon voyage de 1979 en bateau depuis le Vietnam », une mésaventure dans laquelle je me suis embarqué alors que j’étais pré-adolescent. Ce fut une expérience formatrice dont j’ai témoigné il y a des années dans un journal alors que j’étais à l’école, et que j’ai pu montrer occasionnellement à des proches. Cette histoire a vécu dans mon cœur durant plus de trente ans. Jusqu’à récemment, les seules images qui existaient étaient celles que j’avais créé dans mes dessins, toutes basées sur la mémoire de ces événements qui ont bouleversé ma vie.
Le 23 septembre 2013, je me suis connecté via Facebook avec Vincent Leduc, un photographe français. J’appris qu’à l’époque de ma mésaventure, Vincent travaillait comme photojournaliste avec Food for the Hungry International, l’organisation humanitaire qui portait secours aux boat-people avec l’Akuna. Dans cette connexion Facebook, Vincent partagea avec moi une partie de son travail, il m’envoya une série de photos qu’il avait pris sur les réfugiés vietnamiens. Tandis que je regardais les photos, les images d’un certain jeune garçon au regard désespéré commencèrent à émerger. À mon immense étonnement, je réalisai subitement que ce garçon c’était moi…
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Voici les images originales de Vincent Leduc sur les gens de ce bateau pour Singapour, et moi, jeune garçon, au cours de cet inoubliable voyage il y a plus de 36 ans. Je suis le garçon qui porte un t-shirt aux rayures marron foncées (marqué avec un #).
Découvrir ces photos extraordinaires de Vincent, un homme dont je n’ai aucun souvenir à bord du même bateau que moi, fut une expérience proche du rêve.
Quelle belle surprise et quel beau rêve !
- Nam Nguyen, février 2016
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L’adolescent fugueur : ayant du mal à faire face à la réalité de la mésaventure, le voyage de retour au camp fut une expérience cauchemardesque.
Le photographe : Vincent Leduc à bord de l’Akuna en juin 1979, au cours d’une opération de sauvetage de boat people menée par Food for the Hungry International en Mer de Chine du Sud.
CLIQUEZ SUR LE PLAN POUR HI-RESOLUTION
" Nous sommes allé sur ce bateau pour presque cette nuit et le jour suivant nous étions très prêt des ports de Singapour. Beaucoup de grands navires étaient autour de nous, certains sortent pour nous faire signe, d’autres regardaient et des bateaux ne nous montraient même pas s’il y avait quelqu’un à leur bord. Nous pensions que peut-être ils avaient peur de notre bateau. Un bateau très étrange. " " Nous choisîmes de naviguer par le nord de façon à minimiser le risque d’être repérés et arraisonnés par les autorités indonésiennes. Nord, puis ouest vers Singapour. Nous ne suivîmes pas tout à fait la même route au retour. Le navire de la marine singapourienne nous remorqua jusqu’à la limite des eaux territoriales en pleine mer à l’Est, pas dans la direction de l’archipel indonésien des Riau. Nous traversâmes la route des grands navires de commerce. Je m’en souviens assez précisément. La pleine mer, puis l’autoroute : des portes-containers, des pétroliers, des cargos… en file, se suivant à 3 ou 4 miles d’écart, à leur approche de Singapour (c’était alors le quatrième port commercial du monde). Nous décidâmes de peindre un message sur un panneau de bois d’environ 1 mètre sur 1 mètre, avec ces mots : SOS, RÉFUGIÉS VIETNAMIENS (ou boat-people). Aucun navire ne stoppa, aucun ne se dérouta pour nous porter assistance (confirmant tous les récits des boat-people à ce sujet). Et nous atteignîmes Pulau Buton par le nord. "
À SUIVRE
" UNE EXPÉRIENCE PROCHE DU RÊVE "
34 ans ont passé avant que Vincent et moi nous connections sur Facebook, découvrant nos chemins croisés. Voir les photos de Vincent de notre voyage fut une expérience proche du rêve que je n’oublierai jamais.
Dans le même bateau - 1979
My Singapore Misadventure, 1979
In The Same Boat
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